Parution le 17 Octobre 2024
1408 pages, Prix de lancement 69.00 € jusqu'au 31 12 2024
Le romancier Melville, dans ses descriptions de baleines, de marins, de chasse, nous donne moins à voir le visible qu’à pressentir l’invisible d’où émanent la forme et le sens du spectacle du monde.
Mais s’agit-il bien ici d’un art du roman ? Quel sens a pour Melville ce mot ? Et le mot « fiction » ? Dans L’Escroc à la confiance, il écrit que, d’un « livre de fiction », un lecteur attend « plus de réalité que la vie réelle ne peut en offrir ». Et il ajoute, sans qu’il soit possible de déterminer précisément la portée — générale ? limitée à ce roman particulier ? — de la formule : « Il en va de la fiction comme de la religion : elle devrait nous présenter un autre monde, mais un monde avec lequel nous nous sentons un lien. » Le mot « littérature » — quels enjeux pour lui ? Il est bien possible que celui que nous considérons comme un romancier ne se soit jamais perçu d’abord, et essentiellement, comme tel. Un écrivain ? Sûrement. Mais un auteur de romans ? A-t-il seulement une esthétique ? Rien qu’une ? Le jeu du récit est chez lui divers, multiple, toujours varié. Si l’on parcourt l’ensemble de son œuvre, c’est la capacité de renouvellement qui frappe d’abord. Chacun des textes publiés entre 1846 et 1857, dans une succession fébrile, rompt avec le précédent, emprunte à un genre différent pour l’aménager, le parodier, le subvertir (mais il ne s’agit pas, dans ce cas, d’une subversion intellectuelle, d’une contestation de l’art par l’art), comme s’il essayait tous les modèles, tous les codes, toutes les conventions sans jamais se satisfaire d’aucun : récit documentaire, Bildungsroman, roman picaresque, politique, épique, psychologique, historique — pour finir par l’inclassable Escroc à la confiance, triomphe de l’expérimentation, qui laisse le lecteur seul maître de son interprétation. La métamorphose des formes est constante. Il aura exploré et exploité l’ensemble des modes narratifs que lui offrait son époque.
Philippe Jaworski.
Ces lignes sont extraites de l’Introduction au tome I des Œuvres de Melville, publié dans la Pléiade en 1997.