Hegel voyait en lui un « héros » ; Valéry, un « grand capitaine de l’esprit » ; Péguy, « ce cavalier français qui partit d’un si bon pas ». Il reste que chevaucher avec Descartes, c’est parfois cheminer parmi les idées reçues. Descartes serait le seul philosophe français, le philosophe de la France, la France même. Les Français, d’ailleurs, seraient « cartésiens par nature » : le cartésianisme ferait partie de leur identité.
Comme ce n’est pas des racines ni du tronc des arbres qu’on cueille les fruits, mais seulement des extrémités de leurs branches, ainsi la principale utilité de la philosophie dépend de celles de ses parties qu’on ne peut apprendre que les dernières. Mais bien que je les ignore presque toutes, le zèle que j’ai toujours eu pour tâcher de rendre service au public est cause que je fis imprimer il y a dix ou douze ans quelques essais des choses qu’il me semblait avoir apprises. La première partie de ces essais fut un Discours touchant la méthode pour bien conduire sa raison et chercher la vérité dans les sciences, où je mis sommairement les principales règles de la logique, et d’une morale imparfaite qu’on peut suivre par provision pendant qu’on n’en sait point encore de meilleure. Les autres parties furent trois traités, l’un de la Dioptrique, l’autre des Météores, et le dernier de la Géométrie. Par La Dioptrique j’eus dessein de faire voir qu’on pouvait aller assez avant en la philosophie pour arriver par son moyen jusques à la connaissance des arts qui sont utiles à la vie, à cause que l’invention des lunettes d’approche que j’y expliquais est l’une des plus difficiles qui aient jamais été cherchées. Par Les Météores je désirais qu’on reconnût la différence qui est entre la Philosophie que je cultive, et celle qu’on enseigne dans les écoles où l’on a coutume de traiter de la même matière. Enfin par La Géométrie je prétendais démontrer que j’avais trouvé plusieurs choses qui ont été ci-devant ignorées, et ainsi donner occasion de croire qu’on en peut découvrir encore plusieurs autres, afin d’inciter par ce moyen tous les hommes à la recherche de la vérité. Depuis ce temps-là, prévoyant la difficulté que plusieurs auraient à concevoir les fondements de la métaphysique, j’ai tâché d’en expliquer les principaux points dans un livre de Méditations qui n’est pas bien grand, mais dont le volume a été grossi, et la matière beaucoup éclaircie, par les objections que plusieurs personnes très doctes m’ont envoyées à leur sujet, et par les réponses que je leur ai faites. Puis enfin, lorsqu’il m’a semblé que ces traités précédents avaient assez préparé l’esprit des lecteurs à recevoir Les Principes de la philosophie, je les ai aussi publiés. Et j’en ai divisé le livre en quatre parties, dont la première contient les principes de la connaissance, qui est ce qu’on peut nommer la première philosophie, ou bien la métaphysique ; c’est pourquoi, afin de la bien entendre, il est à propos de lire auparavant Les Méditations que j’ai écrites sur le même sujet. Les trois autres parties contiennent tout ce qu’il y a de plus général en la physique, à savoir l’explication des premières lois ou des principes de la nature ; et la façon dont les cieux, les étoiles
fixes, les planètes, les comètes, et généralement tout l’univers est composé ; puis en particulier la nature de cette Terre, et de l’air, de l’eau, du feu, de l’aimant, qui sont les corps qu’on peut trouver le plus communément partout autour d’elle, et de toutes les qualités qu’on remarque en ces corps, comme sont la lumière, la chaleur, la pesanteur et semblables ; au moyen de quoi je pense avoir commencé à expliquer toute la Philosophie par ordre sans avoir omis aucune des choses qui doivent précéder les dernières dont j’ai écrit.