Parution le 26 Septembre 2024
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[À Londres, Casanova emploie mille stratagèmes pour séduire Mlle Charpillon, en vain : celle-ci a décidé de le faire souffrir. Mais ses dérobades finissent par lasser Casanova.]
Allant me promener un matin par la ville, je suis passé par un endroit qu’on appelait le marché aux perroquets. En voyant un joli dans une cage toute neuve j’ai demandé quelle langue il parlait, et on me répondit qu’étant tout jeune il n’en parlait aucune. J’ai donné les dix pièces qu’on en demandait, et je l’ai envoyé chez moi. Décidé à lui apprendre quelques paroles intéressantes, j’ai pensé à le placer près de mon lit, et à lui répéter à tout moment Miss Charpillon est plus putain que sa mère. J’ai entrepris cette plaisanterie pour rire, et certainement sans aucun méchant dessein. En moins de deux semaines le perroquet complaisant apprit si bien ces six parolesA qu’il les répétait du matin au soir avec cela davantage qu’après les avoir prononcées il donnait dans un grand éclat de rire, ce que je n’avais pas eu l’intention de lui apprendre.
Ce fut Goudar qui me dit un jour que si j’envoyais mon perroquet à la Bourse, j’aurais pu certainement le faire vendre pour cinquante guinées. J’ai d’abord saisi sa belle idée, non pas par sentiment d’avarice ; mais pour avoir le plaisir d’appeler p…. la coquine qui m’avait si malmené; et me mettre à l’abri de la loi qui sur cet article-là est fort sévère.
J’ai donc chargé de ce soin Jarbe, qui étant indien mon perroquet devenait une marchandise de son cru.
Les deux ou trois premiers jours, mon perroquet parlant français n’a pas eu une grande audience ; mais d’abord queB quelqu’un qui connaissait l’héroïne fit attention à l’éloge que l’indiscret oiseau lui faisait, le cercle grossit, et on commença à marchander pour l’acquisition de la cage. Cinquante guinées paraissaient trop. Mon nègre désirait que je livrasse le tout à meilleur marché; mais je n’y ai jamais consenti. J’étais devenu amoureux de mon vengeur.
Combien j’ai ri quand au bout de sept à huit jours Goudar me conta l’effet qu’avait fait dans la famille de la Charpillon le bavardage de mon perroquet exposé en vente à la Bourse de Londres. Celui qui le vendait étant mon nègre, on ne doutait pas qu’il ne fût à moi, et que je ne fusse son maître de langue. Il me dit que la fille non seulement n’était point du tout sensible à cette histoire ; mais qu’elle la trouvait fort jolie, et en riait toute la journée. Les désespérées étaient les tantes, et la mère, qui avaient consulté sur cette affaire plusieurs avocats, qui leur avaient tous répondu qu’il n’y avait point de lois faites pour venger une calomnie dont l’auteur serait un perroquet ; mais qu’elles pourraient me faire coûter fort cher cette plaisanterie si elles pussent prouver que le perroquet était mon élève. Par cette raison Goudar m’avertit que je devais me garder de me vanter que l’oiseau était mon écolier, car deux témoins pourraient me perdre.
La facilité de trouver des faux témoins à Londres est quelque chose de fort scandaleux. J’ai vu un jour un écriteau à une fenêtre, où on lisait en lettres majuscules le mot témoin, pas davantage. Cela voulait dire que la personne qui logeait dans l’appartement faisait le métier de témoin.
Un article de St James Cronicle disait que les dames qui se trouvaient insultées par le perroquet devaient être bien pauvres, et tout à fait sans amis, puisque si elles avaient acheté le perroquet d’abord qu’elles surent qu’il existait, le public n’aurait qu’à peine su l’histoire. Il disait que ce ne pouvait être qu’une vengeance, et sans me nommer, il disait que l’auteur méritait d’être anglais.
A. mots. — B. dès que.