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Les coulisses de la Pléiade

Discours prononcé par Antoine Gallimard à l'occasion du lancement du volume La Pléiade. Poésie, poétique (Villers-Cotterêts, le 25 avril 2024)

La lettre de la Pléiade n° 74
Mai 2024

Monsieur le directeur (Paul Rondin),

Chère Mireille Huchon,

Chers amis de la Pléiade,

Je suis particulièrement heureux d’être ici ce matin, à l’occasion de la publication du 671e volume de la Bibliothèque de la Pléiade, consacré aux poètes de la Pléiade. Ce plaisir, nous le devons à l’hospitalité de M. Paul Rondin, qui nous accueille dans ce magnifique Château de Villers-Cotterêts, désormais consacré à la célébration de la langue française, à son histoire, à ses usages, à ses rapports avec l’État, et à son avenir.

Le français est la langue de La Fontaine, de Racine, d’Alexandre Dumas, de Claudel – pour m’en tenir à des écrivains nés ici-même ou dans les environs. Mais c’est aussi la langue de Milan Kundera, né à plus de mille kilomètres d’ici, et je me réjouis que cette dimension soit largement prise en compte par la Cité internationale de la langue française.

Le plaisir de cette rencontre, nous le devons également à Mireille Huchon, qui a réalisé le volume dont nous parlons aujourd’hui, après avoir donné à la Pléiade de magnifiques éditions de Rabelais et de Louise Labé, et à la collection « NRF Biographies » des ouvrages de référence sur Rabelais encore, et sur Nostradamus.

Personnellement, je me réjouis que nous disposions enfin de cette Pléiade de la Pléiade, qui manquait à notre catalogue. Il est vrai que la collection a accueilli Ronsard dès 1938, puis une anthologie de Poètes du XVIe siècle en 1953, et même, en 1961, un disque 33 tours qui constituait une Anthologie sonore de la Pléiade – c’était le numéro 2 des Albums de la Pléiade. Mais le volume qui paraît aujourd’hui, c’est tout autre chose, et Mireille Huchon nous dira pourquoi.

Ce qui me semble clair, c’est que cette Pléiade de la Pléiade est ici à sa place – et je suis reconnaissant à Paul Rondin de l’avoir si bien vu. C’est en effet ici, en 1539, qu’a été signée par François Ier l’Ordonnance de Villers-Cotterêts. Elle prévoyait notamment que la langue française s’imposerait désormais comme la seule langue officielle pour tous les documents administratifs et juridiques. Un geste politique important : l’unité de la langue et l’unité de l’État sont liées, et le roi l’affirme hautement.

Cela n’a pas échappé aux poètes de la Pléiade qui ont émergé dans la décennie suivante, au début d’un autre règne, celui de Henri II. Je crois qu’Henri II a surtout fréquenté Villers-Cotterêts pour y chasser le cerf : on dit qu’il était plus sportif que littéraire. Mais il avait une sœur, Marguerite, et des conseillers, comme Michel de l’Hospital ou le cardinal Jean Du Bellay. Ce sont eux qui ont soutenu les poètes de la Pléiade, et qui ont compris que la volonté – commune à tous ces poètes – d’illustrer la langue française, de l’enrichir, de la nourrir des apports de l’Antiquité ou de l’Italie voisine, renforçait également l’État et servait l’image du roi.

Ce que l’Ordonnance de 1539 fait pour la langue administrative, la Pléiade le fait donc pour la langue littéraire, et les poètes sont conscients de leur rôle politique. D’ailleurs ils ne ménagent pas leurs efforts pour convaincre le roi que c’est à eux, à leurs œuvres, au moins autant qu’à ses victoires sur les champs de bataille, qu’il doit sa gloire. Henri II n’a peut-être pas été très sensible à ce discours. Mais nous, nous pouvons l’entendre, et désormais le redécouvrir dans le volume qui paraît.

Cette année, nous fêtons le 500e anniversaire de la naissance de Ronsard. Mais aussi le 100e anniversaire du surréalisme – en tout cas l’anniversaire de la publication du Manifeste du surréalisme, en 1924. Il y a bien des différences entre le mouvement surréaliste et le groupe des poètes de la Pléiade. Mais comme les surréalistes, les poètes de la Pléiade sont conscients de leur art. Ils ne confient pas à des théoriciens le soin de définir leur poétique : ils s’en chargent eux-mêmes.

En 1924, Breton publie en un seul volume sa « Défense » du surréalisme : le Manifeste – et son « Illustration » : le recueil d’écritures automatiques intitulé Poisson soluble. En 1549, Du Bellay avait procédé exactement de la même manière en publiant simultanément sa Défense et illustration de la langue française et son premier recueil de sonnets, L’Olive.

Ces deux aspects, la poésie et la poétique, sont présents au sous-titre de votre volume, chère Mireille Huchon. À vous maintenant de nous dire, avec Hugues Pradier, comment vous avez conçu cette édition. Merci mille fois de vous y être consacrée avec l’énergie et le talent qu’on vous connaît, et merci à tous, chers amis, pour votre attention.