Parution le 31 Octobre 2024
229.00 €
C'est traditionnellement vers la fin de septembre que l'on examine le plan de réimpression de la Pléiade pour les douze mois suivants, au cours d'une réunion à laquelle sont conviés des représentants de la direction générale, du service éditorial et des services commercial, administratif, de fabrication...
Pour chacun des titres disponibles, on étudie l'évolution des ventes au cours des quatre dernières années, ce qui permet de prévoir la date théorique à laquelle un volume manquera. Lorsqu'il apparaît qu'une édition risque de s'épuiser à court ou moyen terme, une réimpression est programmée : on fixe un chiffre de tirage (rarement moins de 4000 exemplaires) et la date à laquelle ce nouveau tirage arrivera en librairie.
Puis on passe aux titres non disponibles. Les lecteurs de la Pléiade sont nombreux à nous demander pour quelle raison le catalogue comprend quelques dizaines de volumes « indisponibles provisoirement », et à s'interroger sur la durée que nous assignons au « provisoire »... La question est difficile ; tâchons d'être clair.
Certains volumes demeurent indisponibles parce qu'une nouvelle édition des œuvres du même auteur va bientôt être inscrite à notre programme : une édition chasse l'autre, c'est la règle. D'autres doivent attendre leur tour un an ou deux, parce que le plan de réimpression pour l'année en cours est déjà trop chargé, et que l'on ne saurait augmenter les stocks indéfiniment. Enfin — et ce constat n'est pas agréable — il arrive que le provisoire dure parce que certains grands écrivains n'ont plus qu'un petit nombre de lecteurs. Ce dernier point mérite de plus amples explications.
S'il est rare qu'un volume de la Pléiade soit réimprimé à moins de 4000 exemplaires, c'est que l'investissement consenti, même pour une « simple » réimpression, est si important qu'il impose que les frais soient amortis sur un grand nombre d'exemplaires. C'est à cette condition seulement que la Pléiade peut maintenir des prix de vente normaux ; si elle n'était pas remplie, il serait nécessaire d'augmenter ces prix de façon très significative — ce qui conduirait immanquablement (et logiquement) le public à se détourner de ces livres-là, lesquels auraient donc été réimprimés en vain.
Or l'examen du rythme des ventes montre que certains volumes — par exemple Malherbe (et c'est dommage) ou l'édition du Théâtre du XVIIIe siècle (et c'est triste) — n'ont trouvé, chacune des dernières années au cours desquelles ils étaient disponibles, qu'une centaine de lecteurs. Cent lecteurs par an pour un retirage de 3 ou 4000 exemplaires, le calcul est vite fait : trente ou quarante ans de stocks ! Et, nous l'avons dit, une gestion saine, soucieuse de l'avenir de la collection, impose que lesdits stocks n'augmentent pas de façon incontrôlée. En d'autres termes, réimprimer à un prix normal des livres qui n'intéressent plus qu'un petit nombre de lecteurs revient à s'interdire de réimprimer régulièrement ceux que vous êtes nombreux à réclamer.
Pourquoi, dès lors, ne pas indiquer plus souvent au catalogue que tel ou tel volume est « épuisé » ? La question n'est pas de pure forme. La mention « Épuisé » est utilisée pour indiquer que nous avons définitivement renoncé à réimprimer un volume, du moins dans la Pléiade (car d'autres collections peuvent parfois lui offrir une seconde vie). Il reste que la Pléiade souhaite ne pas renoncer à certains titres et conserve l'espoir de les réimprimer un jour. Tel est l'objet de la seconde partie de la réunion annuelle : dresser la liste des ouvrages manquants depuis plusieurs années et auxquels il semble possible d'offrir une nouvelle chance.
Plusieurs critères sont alors pris en compte : la qualité des éditions (certaines sont anciennes et nécessitent des mises à jour), les demandes des lecteurs, la volonté de compléter des séries, mais aussi la conviction que certains écrivains méritent beaucoup mieux que le sort qui leur a été réservé jusqu'alors. Un exemple ? Barbey d'Aurevilly.
Ce n'est pas trahir un secret que de dire que les volumes consacrés à cet écrivain se vendaient lentement (mais les œuvres de Barbey se vendaient déjà mal de son vivant...). Et pourtant : les caractères tourmentés qu'il a créés, son style baroque, étrange, sa fascination pour le surnaturel, son obsession de la décadence — tout, chez lui, devrait séduire les lecteurs de notre temps. Bref, il faut (re)lire Barbey. La mention « Indisponible provisoirement » est effacée du catalogue ; on lui substitue cette promesse : « En attente de réimpression ». Le tome I reparaîtra à l'automne. Un tirage de 3000 exemplaires « seulement » permettra néanmoins de le proposer à un prix convenable. Et dès 2003 le tome Il bénéficiera à son tour d'un retirage.
Barbey, mais aussi Claudel (l'Œuvre poétique) , Mérimée, Stendhal (les Œuvres intimes), Alain (Les Passions et la Sagesse) et Bossuet rejoignent donc les quelque cinquante-cinq autres titres réimprimés en 2002 — cinquante-cinq sans compter les onze nouveautés de l'année. Il arrive cependant qu'une nouvelle réunion, « estivale », soit nécessaire. Après la Quinzaine de la Pléiade, les stocks sont examinés à la loupe. Tel livre s'est vendu moins bien que prévu, tel autre a battu des records, comme, cette année, Le Coran, Les Trois Mousquetaires ou le tome IV de la Correspondance de Flaubert : il faut réviser les prévisions, revoir le programme, retarder un tirage, en avancer d'autres.
Les réunions terminées, il reste à se mettre au travail. La personne chargée des réimpressions dans le service de la Pléiade fait corriger les éventuelles fautes d'impression relevées, notamment par des lecteurs fidèles et attentifs, dans le tirage précédent. Les Chronologies, les Bibliographies sont mises à jour. Dans certains cas, les modifications sont plus importantes : des manuscrits, des lettres inédites ont pu surgir à l'occasion d'une vente publique, il faut en tenir compte dans toute la mesure du possible et, parfois, les utiliser pour actualiser l'appareil critique. Il arrive aussi qu'un Supplément soit ajouté en fin de volume. De nouvelles épreuves sont lues, corrigées, renvoyées. Le bon à tirer est donné : à l'imprimeur de jouer. Et au lecteur, bien sûr.