Dans cette rubrique, nous proposons cent petits textes, un par année, consacrés à la vie des livres et des écrivains, en France, au XXe siècle. Ces textes ont été publiés pour la première fois dans les Agendas de la Pléiade entre 2002 et 2011. Les événements qu’ils mettent en lumière ont certes été choisis en fonction de leur importance, immédiate ou différée, mais aussi, mais surtout, pour le plaisir d’évoquer un livre ou un auteur attachant. Leur republication simultanée ne forme donc pas une histoire littéraire du XXe siècle en cent chapitres : tout au plus une promenade en cent étapes, arbitraires et facultatives.
1985
Le 17 octobre à 13 heures, la nouvelle tombe : le prix Nobel de littérature 1985 est attribué à Claude Simon. À la troisième ligne du communiqué, avant même que ne soit caractérisée l'œuvre du lauréat, figure la formule attendue : «nouveau roman» ! (Elle occupera la même place dans le discours du secrétaire perpétuel de l'Académie suédoise, le jour de la remise du prix.) Alain Robbe-Grillet est d'ailleurs en embuscade à la cinquième ligne. Faulkner et Proust, «les avant-coureurs», sont ex æquo aux alentours de la douzième ligne, ce qui n'est pas si mal : Dostoïevski, lui, est presque enterré au milieu du deuxième paragraphe.
Parution le 7 Novembre 2024
1584 pages, ill., Prix de lancement 72.00 € jusqu'au 31 12 2024
Gaston est un soldat inconnu vivant. On l’a trouvé dans une gare, près d’un train de prisonniers français rentrant d’Allemagne en 1918. Il est amnésique. À l’asile d’aliénés où il est interné, les familles défilent, espérant reconnaître en lui un fils ou un frère disparu pendant la guerre, en vain. Mais Gaston s’habitue à sa nouvelle vie, il jardine, il s’occupe. Il a renoncé à renouer avec son passé. En 1936, le nouveau directeur de l’asile relance les recherches. Les familles affluent de nouveau. On décide d’envoyer Gaston vivre quelque temps au sein de certaines d’entre elles, pour examiner ses réactions. Priorité est donnée à la famille Renaud. Tel est l’argument de la pièce de Jean Anouilh, Le Voyageur sans bagage, qui commence avec l’arrivée de Gaston chez les Renaud.
Au début de 1936, Sartre, qui travaille depuis plus de quatre ans à ce qu’il appelle son « factum sur la contingence », considère le livre comme achevé. Paul Nizan va tâcher de le faire publier chez son propre éditeur, Gallimard. Au printemps, le manuscrit, désormais intitulé Melancholia en référence à la gravure de Dürer, est remis à Pierre Seeligmann, collaborateur de la maison. Quand il est refusé, Sartre accuse le coup : « Je m’étais mis tout entier dans ce livre ; en le refusant, c’est moi-même qu’on refusait, mon expérience qu’on excluait. »
Pierre Drieu la Rochelle, Journal, 5 décembre : « Si ce livre n’est pas bon, ma vie littéraire est manquée. Je crois qu’il est bon. Je crois qu’il remplit les deux conditions d’un bon livre : cela forme un univers qui vit par soi-même, animé par sa propre musique.
« […] Ce livre est un pamphlet et aussi une œuvre entièrement détachée. Bonne condition encore.
« Toute ma génération s’y retrouvera, de gré ou de force. »
La NRF, livraison du 1er janvier : Les Voyageurs de l’impériale d’Aragon commence à paraître en « préoriginale », tandis qu’Elsa Triolet publie «Souvenirs de la guerre de 1939». – Dans « Pour saluer l’année nouvelle », Jean Schlumberger note « On voit surgir dans la nuit une grande forme hésitante. On ne distingue encore rien d’elle que sa stature inquiète et redressée. » Elle, c’est évidemment l’année qui commence, « Année qui devra nous sauver deux fois, d’abord des autres, ensuite de nous-mêmes ».
André Breton, qui réside à Marseille, dans la zone dite libre, est un « anarchiste dangereux » ; du moins est-ce sous cette qualification qu’il a été brièvement incarcéré en décembre 1940. En ce début d’année, la censure écarte son Anthologie de l’humour noir et diffère la sortie de Fata Morgana. Il est temps de quitter la France. Breton a obtenu des visas américain et mexicain. Le 24 mars, il embarque avec sa femme et sa fille sur le Capitaine-Paul-Lemerle à destination de la Martinique. À bord, plus de deux cents autres réfugiés (plus de trois cents selon certaines sources). Parmi eux, Claude Lévi-Strauss.
À Vichy, Laval revient au pouvoir. En un seul jour, le 16 juillet, 30.000 Juifs sont arrêtés à Paris, puis déportés. Le 8 novembre, les Alliés débarquent en Afrique du Nord. Le 11, la zone sud de la France est envahie. Le 27, la flotte se saborde à Toulon. L'amiral Darlan est assassiné à la veille de Noël.