Dans cette rubrique, nous proposons cent petits textes, un par année, consacrés à la vie des livres et des écrivains, en France, au XXe siècle. Ces textes ont été publiés pour la première fois dans les Agendas de la Pléiade entre 2002 et 2011. Les événements qu’ils mettent en lumière ont certes été choisis en fonction de leur importance, immédiate ou différée, mais aussi, mais surtout, pour le plaisir d’évoquer un livre ou un auteur attachant. Leur republication simultanée ne forme donc pas une histoire littéraire du XXe siècle en cent chapitres : tout au plus une promenade en cent étapes, arbitraires et facultatives.
1985
Le 17 octobre à 13 heures, la nouvelle tombe : le prix Nobel de littérature 1985 est attribué à Claude Simon. À la troisième ligne du communiqué, avant même que ne soit caractérisée l'œuvre du lauréat, figure la formule attendue : «nouveau roman» ! (Elle occupera la même place dans le discours du secrétaire perpétuel de l'Académie suédoise, le jour de la remise du prix.) Alain Robbe-Grillet est d'ailleurs en embuscade à la cinquième ligne. Faulkner et Proust, «les avant-coureurs», sont ex æquo aux alentours de la douzième ligne, ce qui n'est pas si mal : Dostoïevski, lui, est presque enterré au milieu du deuxième paragraphe.
Parution le 24 Octobre 2024
1344 pages, Prix de lancement 69.00 € jusqu'au 31 12 2024
C’est Jean Mermoz qui, le premier, en avril 1928, vola de nuit, de Rio à Buenos Aires, pour le compte de la Compagnie générale aéropostale dont Didier Daurat était le directeur d’exploitation. On le traita de fou. Mais il s’agissait de faire de l’Aéropostale le moyen de transport du courrier le plus sûr et le plus rapide.
«Ça a débuté comme ça» : un volumineux manuscrit est déposé, sans nom ni adresse, chez Denoël et Steele, l'éditeur de L'Hôtel du Nord d'Eugène Dabit. La piste de l'auteur est retrouvée grâce au papier utilisé pour l'emballage : on pouvait y lire l'adresse d'une voisine de palier dudit auteur, lequel se révèle être un médecin, le docteur Destouches.
C'est en janvier que paraît le livre, mais il faut remonter à la fin de 1931 pour en retracer la genèse. Cette année-là, à l'automne ou dans l'hiver, Henri Michaux s'embarque pour l'Asie. Il voyage, il écrit. «Reçu des nouvelles de Michaux», déclare Supervielle à Paulhan le 28 décembre ; «Connais-tu quelqu'un à Shanghai ? Il voudrait un mot de recommandation. Il est content de son journal de voyage.»
William Faulkner a commencé à écrire «l'histoire d'un homme qui voulait un fils par orgueil», c'est-à-dire Absalon, Absalon! Il publie Le Docteur Martino et autres histoires, commence la série de nouvelles qui, après révision, constituera Les Invaincus, travaille avec Howard Hawks à l'adaptation cinématographique de L'Or de Cendrars, et envoie à son éditeur les sept chapitres de Pylône. La critique américaine n'a toujours pas compris qu'il est un écrivain de génie. Mais certains Français ont pris de l'avance.
Le 10 août, Jean Giraudoux signe un contrat avec Grasset pour la publication d'Hélène, une œuvre au sujet de laquelle Louis Jouvet l'interrogeait quelques mois plus tôt : « Et votre pièce, elle avance ? — Quelle pièce ? — Votre pièce sur l'Iliade. — Ah ! oui. J'ai déjà trouvé la première réplique. C'est Cassandre qui dit à Andromaque : “La guerre de Troie n'aura pas lieu.”»
Le 16 juin, Gide vole vers Moscou en compagnie de Pierre Herbart. Il s'installe à l'hôtel Métropole. Le 21, il fait sur la place Rouge l'éloge de Maxime Gorki, qui vient de mourir; l'un des porteurs de l'urne funéraire se nomme Joseph Staline. Du 1er au 4 juillet, Gide et Herbart, rejoints par Eugène Dabit, Jacques Schiffrin, Jef Last et Louis Guilloux, séjournent à Leningrad. Puis c'est Moscou de nouveau, la Géorgie, le Caucase, les abords de la mer Noire, Sébastopol, et Moscou encore. Foules enthousiastes, autorités prévenantes (et attentives), discours lyriques. Gide, toujours lesté de carnets, prend des notes. Le 24, accompagné de Herbart, il repart pour Paris. Il consacre la fin de l'été et le début de l'automne à rédiger un témoignage qui va paraître le 13 novembre. C'est le Retour de l'U.R.S.S. Ce n'est pas exactement le livre que ses hôtes soviétiques attendaient.