Parution le 17 Octobre 2024
208.50 €
Un tirage spécial illustré pour faire apparaître à la fois la formidable cohérence et l’extraordinaire mobilité de la pensée de Breton, la perpétuelle diversité des objets qu’elle se donne et le caractère constant des convictions qu’elle exprime.
Parfois, pour signifier « l’expérience » on a recours à cette expression émouvante : le plomb dans la tête. Le plomb dans la tête, on conçoit qu’il en résulte pour l’homme un certain déplacement de son centre de gravité. On a même convenu d’y voir la condition de l’équilibre humain, équilibre tout relatif puisque, au moins théoriquement, l’assimilation fonctionnelle
qui caractérise les êtres vivants prend fin lorsque les conditions favorables cessent, et qu’elles cessent toujours. J’ai vingt-sept ans et me flatte de ne pas connaître de longtemps cet équilibre. Je me suis toujours interdit de penser à l’avenir : s’il m’est arrivé de faire des projets, c’était pure concession à quelques êtres et seul je savais quelles réserves j’y apportais en mon for intérieur. Je suis cependant très loin de l’insouciance et je n’admets pas qu’on puisse trouver un repos dans le sentiment de la vanité de toutes choses. Absolument incapable de prendre mon parti du sort qui m’est fait, atteint dans ma conscience la plus haute par le déni de justice que n’excuse aucunement, à mes yeux, le péché originel, je me garde d’adapter mon existence aux conditions dérisoires, ici-bas, de toute existence. Je me sens par là tout à fait en communion avec des hommes comme Benjamin Constant jusqu’à son retour d’Italie, ou comme Tolstoï disant : « Si seulement un homme a appris à penser, peu importe à quoi il pense, il pense toujours au fond à sa propre mort. Tous les philosophes ont été ainsi. Et quelle vérité peut-il y avoir, s’il y a la mort ? »
Je ne veux rien sacrifier au bonheur : le pragmatisme n’est pas à ma portée. Chercher le réconfort dans une croyance me semble vulgaire. Il est indigne de supposer un remède à la
souffrance morale. Se suicider, je ne le trouve légitime que dans un cas : n’ayant au monde d’autre défi à jeter que le désir, ne recevant de plus grand défi que la mort, je puis en venir à
désirer la mort. Mais il ne saurait être question de m’abêtir, ce serait me vouer aux remords. Je m’y suis prêté une fois ou deux : cela ne me réussit pas.
Le désir… certes il ne s’est pas trompé, celui qui a dit : « Breton : sûr de ne jamais en finir avec ce cœur, le bouton de sa porte. » On me fait grief de mon enthousiasme et il est vrai que je passe avec facilité du plus vif intérêt à l’indifférence, ce qui, dans mon entourage, est diversement apprécié. En littérature, je me suis successivement épris de Rimbaud, de Jarry, d’Apollinaire, de Nouveau, de Lautréamont, mais c’est à Jacques Vaché que je dois le plus. Le temps que j’ai passé avec lui à Nantes en 1916 m’apparaît presque enchanté. Je ne le perdrai jamais de vue, et quoique je sois encore appelé à me lier au fur et à mesure des rencontres, je sais que je n’appartiendrai à personne avec cet abandon. Sans lui j’aurais peut-être été un poète ; il a déjoué en moi ce complot de forces obscures qui mène à se croire quelque chose d’aussi absurde qu’une vocation. Je me félicite, à mon tour, de ne pas être étranger au fait qu’aujourd’hui plusieurs jeunes écrivains ne se connaissent pas la moindre ambition littéraire. On publie pour chercher des hommes, et rien de plus. Des hommes, je suis de jour en jour plus curieux d’en découvrir.