Parution le 26 Septembre 2024
1328 pages, Prix de lancement 69.00 € jusqu'au 31 12 2024
Ne me laissez pas pour mort, parce que les journaux auront annoncé que je n’y suis plus. Je me ferai plus humble que je ne suis maintenant. Il le faudra bien. Je compte sur toi, lecteur, toi qui vas me lire quelque jour, sur toi, lectrice. Ne me laisse pas seul avec les morts comme un soldat sur le front qui ne reçoit pas de lettres. Choisis-moi parmi eux, pour ma grande anxiété et mon grand désir. Parle-moi alors, je t’en prie, j’y compte.
Ecuador (1929).
En 1965, Henri Michaux avait indiqué à Robert Bréchon qu’il cherchait « une secrétaire qui sache pour moi de quarante à cinquante façons écrire non ». En 2016, ce sera sous le titre Donc c’est non que seront rassemblées ses principales lettres de refus.
Le 22 décembre 1983, Claude Gallimard lui a proposé de rassembler son œuvre dans la Bibliothèque de la Pléiade. Michaux, âgé de quatre-vingt-quatre ans, lui répond le 17 janvier 1984, négativement :
« La raison majeure est qu’il s’agit dans les volumes de cette prestigieuse collection d’un véritable dossier où l’on se trouve enfermé, une des impressions les plus odieuses que je puisse avoir et contre laquelle j’ai lutté ma vie durant.
Me libérer de quantité de pages d’autrefois, retrancher, réduire au lieu de rassembler, voilà quel serait mon idéal, au lieu de l’étalement de tous mes textes, qui à coup sûr me dégoûterait et à brève échéance me paralyserait. »
Édouard Glissant lui ayant demandé cinq ou six illustrations pour un recueil de ses poèmes à paraître, il se déclare incompétent le 23 janvier : « Plus j’examine votre offre, plus je deviens conscient de mes manques. Il faut y renoncer. »
Le 20 mars, il apprend que se prépare la publication de ses nouvelles Œuvres poétiques en japonais. Le traducteur, Eiji Kokai, n’attend plus que « la nouvelle préface pour les Japonais » et le texte revu d’« Un barbare au Japon ». « Rien n’est excitant comme d’être traduit ainsi en cinq langues », écrit Michaux, le 30, à Andrea Liss qui, elle aussi, souhaite le traduire. « J’espère la prochaine fois être traduit en araméen ou en langue maya. »
Jean-Michel Maulpoix souhaite glisser dans l’essai qu’il consacre à Michaux des textes que ce dernier ne désire plus voir repris. Le refus est daté du 22 mai : « Les textes non repris, c’est qu’il y a des raisons à cela. […] On vous plaint de vous être attelé à un travail sur un pareil auteur. »
Le 6 septembre, Michaux répond à Yoshihisa Tsuruoka qui lui a annoncé qu’il achevait et publierait sous peu des « Essais sur Michaux » :
« Votre essai sur H. M., quelle surprise ! Comment quelqu’un qui, la partie la plus importante de sa vie (enfance, adolescent et jeune homme), se sentit complètement étranger aux hommes, peut-il maintenant paraître existant, ici d’abord et à quelques-uns à l’autre bout du monde ? Quelle sorte de voisins sommes-nous ? Un jour peut-être arrivant, passant en France, vous-même (car avec mon angine de poitrine, je ne peux plus voyager) éclairerez-vous cette question. »
Dans la nuit du mercredi 17 au jeudi 18 octobre, alors qu’il peint une dernière huile, qui restera inachevée, Michaux a de plus en plus de mal à respirer. Au matin, sa femme, Micheline
Phankim, qui est médecin, l’emmène à l’hôpital international de l’université de Paris. Faute de lit disponible, on l’installe d’abord dans le bureau d’un cardiologue ami, avant de lui trouver
une chambre. Il souhaite quitter l’hôpital. Micheline Phankim l’en dissuade.
Il meurt dans la nuit du jeudi 18 au vendredi 19 octobre, à 5 heures du matin.
L’hôpital signale que, très vite, des journalistes se présentent pour faire des photos de Michaux mort. « Les VRP de la notoriété à la petite semaine épluchent sa biographie » (J.-P. Léonardini, L’Humanité, 25 octobre).
L’incinération a lieu le mercredi 24 octobre. Le Monde titre « La nuit remuée » une nécrologie signée Bertrand Poirot-Delpech :
« Avec Gracq, Blanchot, une poignée d’autres, Michaux entendait, contre toute l’époque, qu’on ignore sa personne : les mots, rien que les mots.
De son visage on ne retiendra que les photos de Brassaï et de Gisèle Freund : silhouette d’oiseau interdit, de clown blanc au sourcil circonflexe, circonspect, étonnement du premier regard. Ils sont peu à garder cette surprise brûlante, devant l’abîme qu’est vivre. Il y a eu Lautréamont, Kafka, Klee. Michaux campait sur ces hauteurs désolées. »
Le contrat régissant la publication des Œuvres complètes de Michaux dans la Pléiade est daté du 13 décembre 1985. Deux volumes sont alors prévus ; il en faudra trois.
Raymond Bellour se charge d’établir l’édition. En tête de la « Chronologie » qui sera répartie dans les trois volumes, il prend acte du « piège que Michaux nous tend » dans « Quelques
renseignements sur cinquante-neuf années d’existence », auto-chronologie qui fait en quelque sorte partie de l’œuvre et dans laquelle l’écrivain décale à loisir, de six mois à un an, certaines dates pourtant avérées. « Quelque chose manquerait à l’image de Michaux si une mise en forme chronologique de sa vie n’avait pas soulevé de délicats problèmes. »
En épigraphe à l’ensemble de l’édition, cette formule, signée « H. M. » : « Même si c’est vrai, c’est faux. »
Les informations ici présentées proviennent pour l’essentiel de la Chronologie établie par Raymond Bellour et Ysé Tran pour l’édition des Œuvres complètes parue dans la Pléiade entre 1998 et 2004.